Ca devait être un «chantier aussi important que celui de Sion 2006», selon les mots du promoteur de l’époque, et ça commence à ressembler, aussi, à une déconfiture. En ce début de mois de juin 1999, Aquamust, centre thermal rêvé de Crans-Montana (VS), prenait forme. L’autorisation de construire avait été accordée six ans plus tôt, en juin 1993, sur demande du propriétaire du terrain, un avocat basé à Zurich. Depuis, Sion n’a toujours pas eu les Jeux olympiques et le chantier des bains est une friche.
On pensait le projet définitivement débloqué en décembre 2020 lorsque les trois communes du Haut-Plateau (Crans-Montana, Lens et Icogne) validaient un soutien financier de 12 millions pour bâtir un parking sur le site. On apprenait aussi que la fille du propriétaire zurichois, décédé en 2019, avait confié la construction au groupe immobilier HRS qui devait y investir environ 40 millions. Jusque-là, des promoteurs locaux s’y sont tous cassé les dents. Les signaux étaient positifs, on annonçait une ouverture en 2024. Mais depuis, tout s’est gâté.
«Le Matin Dimanche» a en effet appris que la commune de Crans-Montana a été dessaisie du dossier en raison de conflits d’intérêts et que, sur recours des propriétaires de l’immeuble voisin, une remise en état pure et simple des lieux est désormais probable.
Sans refaire trois décennies d’histoire, il faut revenir en 2012 lorsque, après vingt ans sans issue, un nouveau projet est autorisé par la commune. Des terrassements et des excavations sont effectués dans la foulée, mais tout s’arrête en décembre 2015. Interpellant régulièrement la commune sur cette situation, les voisins vont peu à peu perdre patience et demander, dès 2017, une remise en état des lieux. En effet, la loi suppose que les travaux ne peuvent être interrompus sauf justes motifs. Sous leurs yeux, des matériaux s’entreposent, on y voit même paître des chevaux, ils qualifient le site de «déchèterie».
À l’été 2017, des travaux de forage sont entrepris sur le site. Mais l’espoir est de courte durée et plus rien ne bouge jusqu’en 2019, date à laquelle les voisins s’exaspèrent et exigent à nouveau que le terrain soit remis en état, requête rejetée en quatre lignes par la commune au printemps suivant. Cette fois, ils recourent auprès du Conseil d’État, soulignant au passage les nouveautés de décembre 2020 annoncées dans la presse, soit la construction du parking par la commune.
Le Conseil d’État balaie le recours et explique en substance que de l’eau thermale est difficile à trouver par forage, ce qui constitue un juste motif de suspension des travaux, car un centre thermal sans eau chaude ne serait pas économiquement exploitable. Pas satisfaits, les voisins montent d’un échelon et saisissent la Cour cantonale de droit public.
«La commune ne dispose plus de l’indépendance nécessaire.»
Arrêt de la cour cantonale valaisanne
Dans son jugement récent que nous avons pu lire, le tribunal met en pièces les arguments livrés jusqu’ici et donne raison aux voisins. L’instance s’étonne qu’une autorisation pour un centre thermal ait pu être accordée «sans même savoir s’il était possible d’amener de l’eau sur le site». Les trois juges ajoutent que cette situation rend aujourd’hui impossible de savoir quand les travaux seront terminés et estiment donc qu’une remise en état doit être examinée.
En temps normal, le dossier aurait été renvoyé à la commune pour qu’elle tranche. Mais cette fois, il a été directement transféré au canton. Pour cause, les juges critiquent sévèrement la commune de Crans-Montana. En effet, la Municipalité s’étant engagée à investir dans un parking – qui ne figure pas sur plans – et ayant annoncé son intention d’utiliser le centre pour chauffer des habitations, elle se trouvait en situation de conflit d’intérêts. La sentence tombe: «Elle ne dispose plus de l’indépendance nécessaire.» Sollicité, le président de Crans-Montana, Nicolas Féraud, assure comprendre cet argument et dit attendre sereinement la décision qui, rappelle-t-il, porte sur un projet privé.
Il y a pire: le tribunal explique que les plans approuvés en 2012 ont été égarés. Seule une version de 2016 validée a posteriori subsiste. «Une telle manière de procéder laisse fortement songeur», écrivent les magistrats, se permettant un commentaire plutôt rare. Et de juger cela vraiment problématique pour s’assurer de la conformité future du projet. Elle laisse le soin au canton de dire si un sursis est encore possible avant d’exiger une démolition. Il peut, en effet, encore exiger des constructeurs qu’ils achèvent sans délai les travaux.
«Il a fallu forer à plus de 1000 mètres de profondeur, ce n’est pas commun. Mes clients sont toujours déterminés à avancer.»
Me Nicolas Rouiller, avocat des propriétaires du terrain
Avocat des propriétaires du terrain, Me Nicolas Rouiller veut croire à une issue favorable et s’explique sur les délais: «Le promoteur historique est décédé en 2019. Les résultats des forages qui nécessitent une longue analyse n’ont été livrés que juste avant la pandémie. D’autres études complémentaires sont en cours. Il a fallu forer à plus de 1000 mètres de profondeur, ce n’est pas commun. Mes clients sont toujours déterminés à avancer», assure-t-il. Ni HRS, ni les opposants, dont nous voulions connaître les attentes, n’ont répondu à nos questions. Sur place, d’immenses barrières orange encerclent la zone prévue et une fine couche de neige masque provisoirement les stigmates du chantier dont l’issue semble bien incertaine.
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